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Le Christ mort de Holbein (4) – Dieu est parti fumer une clope, Camus continue la partie

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 18 mars
  • 3 min de lecture



On a lâché Lacan. Son objet petit a s’est effondré, s’est décomposé sous nos yeux, un peu comme ce Christ de Holbein qui ne bougera plus, même sous la menace d’une métaphore bien sentie. L’idée d’un manque structurant ? Finie. Ce cadavre n’appelle plus rien, n’ouvre plus aucun jeu du désir, ne demande même pas qu’on lui trouve une explication.



Yalom a enfoncé le clou. Il a secoué l’épaule de Freud, lui a dit d’arrêter de regarder ailleurs et de bien voir ce qui se passe : ce n’est pas la mort qui nous hante, c’est qu’elle ne répond pas. Pas de message, pas de grand secret, juste une évidence qu’on repousse aussi longtemps qu’on peut, jusqu’à ce que le mur nous arrive en pleine figure.


Et c’est là que Camus débarque, la clope au bec, avec son air de dire : « Vous voulez en faire quoi, maintenant ? »


Un Christ en grève – Holbein ferme la boutique

La Renaissance nous avait bien habitués. Un Christ, c’est censé vous faire sentir un truc, un grand frisson, une compassion douloureuse, l’anticipation du miracle. Grünewald nous offre une descente dramatique, Van der Weyden un rideau de larmes, Velázquez une éclipse du monde.


Holbein, lui, s’en fout. Son Christ a déjà quitté la scène, son cadavre n’a pas été prévenu que le spectacle devait continuer.

Il ne promet plus rien, ne nous attend pas, ne nous fixe même pas du regard pour nous arracher un soupir. C’est un bloc de viande froide qui ne veut plus jouer le jeu de l’art sacré.

Ce tableau ne dit rien.

Il ne cache rien.

Il n’ouvre rien.

Et c’est là que ça commence à poser problème.


L’absurde en pleine face – Ce qui arrive quand on comprend trop bien

Camus l’avait dit : on veut croire que le monde a une logique, un fil conducteur, une intention cachée qu’on finirait bien par découvrir un jour, si on cherche assez fort. Mais non. Holbein a peint une vérité sans allégorie, sans parabole, sans promesse d’explication.


Ce Christ n’attend plus la résurrection. Il ne fait même plus semblant de faire partie d’une histoire. Il est hors récit, hors système, hors symbole.


Yalom l’aurait pointé du doigt en disant : « Voilà, c’est ça l’effondrement. Pas le manque, mais le trop-plein. Pas une énigme à résoudre, mais une saturation du réel. »

Et une fois qu’on a vu ça, qu’est-ce qu’on fait ?


Sisyphe regarde Holbein et hausse les épaules

Camus ne s’attarde pas devant ce corps. Il ne va pas chercher une morale, il ne va pas prier, il ne va pas attendre un miracle de l’interprétation. Il a compris.

C’est terminé. Il reste l’action.


Ce Christ ne bougera plus, il n’y a plus rien à espérer, plus rien à récupérer. Alors, soit on tombe à genoux en pleurant sur l’absence de sens, soit on se lève et on continue.


Sisyphe reprend son rocher, non pas parce qu’il espère un jour arriver en haut, mais parce que c’est ce qu’il a à faire.


Camus l’avait dit : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

Holbein aurait certainement répondu : « Il faut imaginer un Christ qui ne sert plus à rien. »

Et nous, il faut imaginer qu’on continue malgré tout.


Se lever, quoi qu’il arrive

Le Christ de Holbein ne nous guide plus, ne nous répond plus, ne nous promet plus rien.

Yalom l’a montré : ce n’est pas une absence, c’est un mur.

Camus le sait : ce mur, il ne faut pas le traverser, il faut le contourner et marcher quand même.


Holbein ne nous empêche pas de bouger. Il empêche seulement d’attendre.

Et maintenant, on fait quoi ?

On se lève.On avance.On va boire un café.

Parce que, franchement, ce Christ ne va pas venir nous tenir la main.

 

Bibliographie

Camus, A. (1942). Le Mythe de Sisyphe. Gallimard.

Didi-Huberman, G. (1992). Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Éditions de Minuit.

Holbein, H. (1521). Le Christ mort dans son tombeau. Kunstmuseum Basel.

Yalom, I. (1980). Existential Psychotherapy. Basic Books.

Dostoïevski, F. (1869). L’Idiot. Gallimard (Traduction française).

Freud, S. (1915). Considérations sur la guerre et la mort. In Essais de psychanalyse. Payot.

 

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