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JUNG : Archétype du Trickster et le Combat de Carnaval et Carême de Bruegel

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 6 févr.
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 févr.






Il y a toujours quelqu’un pour casser l’ordre. Là où le monde veut des règles, il sème le chaos. Là où on attend la solennité, il répond par une grimace. On le chasse par la porte, il revient par la fenêtre, hilare, fripon et farceur. Le Trickster, c’est lui.


Mais ne vous y trompez pas : ce n’est pas un simple bouffon. Il ne fait pas que rire, il déstabilise, il révèle, il renverse. Son rôle n’est pas d’amuser la galerie mais de désordonner pour réordonner, de perturber les évidences pour ouvrir une autre voie. Il défie, il provoque, il met en crise.


Et s’il y a bien un peintre qui a compris cette mécanique du chaos intelligent, c’est Pieter Bruegel l’Ancien. Dans son Combat de Carnaval et Carême (1559), il met en scène une bataille qui n’a pas l’air d’en être une. Un défilé absurde où les forces du désordre et celles de la contrainte se font face… sans jamais vraiment gagner.


Le Trickster, c’est exactement ça : celui qui empêche l’un ou l’autre de triompher, celui qui perturbe pour maintenir la dynamique.


Le Trickster : entre génie et chaos

Le Trickster, c’est Hermès, Loki, Renart, le coyote des mythes amérindiens. Il n’a pas de camp, il ne suit pas les règles, et pourtant il fait avancer l’histoire.


C’est celui qui vole le feu aux dieux, qui renverse l’ordre établi, qui triche mais éclaire en même temps. Il détruit les certitudes et crée du mouvement.

Dans Le Combat de Carnaval et Carême, Bruegel met en scène deux forces opposées :

Le Carnaval, la fête des excès, de la débauche, des masques et des abus.

Le Carême, la restriction, l’ordre moral, l’austérité et le repentir.


L’un pousse à tout lâcher, l’autre veut tout contrôler.

Mais regardez bien la scène : aucun des deux ne l’emporte.

C’est le Trickster qui gagne.


Parce que ce qu’il fait, c’est mettre en lumière le ridicule de l’un et de l’autre, montrer que trop de liberté mène au chaos, trop de restriction mène à l’asphyxie.


Pourquoi le Trickster est indispensable ?

Jung ne voit pas le Trickster comme un simple fauteur de troubles. Il est une force de transformation.


Sans lui, les sociétés s’enlisent, les dogmes s’installent, l’ordre devient oppressif. Il est le grain de sable nécessaire, celui qui dérange juste assez pour empêcher que le système ne s’enferme.


Regardez encore Le Combat de Carnaval et Carême. Chaque personnage joue un rôle, mais tous sont exagérés, tous sont déjà en train de se caricaturer eux-mêmes.


C’est ça, le regard du Trickster : il pousse les rôles jusqu’au grotesque pour montrer leurs limites.


Il ne détruit pas par plaisir. Il dérange pour révéler.


Le Trickster en nous : celui qui sabote ou celui qui libère ?

Le Trickster n’est pas qu’un personnage de conte. Il vit en chacun de nous.

Bien intégré, il devient créativité, audace, capacité à contourner les règles quand elles sont absurdes.

Mal maîtrisé, il tourne en chaos permanent, en sabotage, en destruction stérile.


Chez Bruegel, son Trickster ne prend pas parti. Il n’est ni dans le Carnaval pur, ni dans le Carême absolu. Il est dans la tension entre les deux, dans cette ligne floue où les rôles se révèlent dans leur absurdité.


C’est cette position qu’il nous invite à adopter. Ne pas se fixer, ne pas être trop sérieux, ne pas être trop rigide.


Rester un peu Trickster, juste assez pour ne pas être dupe.


Où est votre Trickster ?

Jung nous rappelle que trop de sérieux tue la psyché.

Il faut un espace pour la subversion, pour la remise en question, pour la ruse et la transgression intelligente.

Alors, quand vous regardez Le Combat de Carnaval et Carême, demandez-vous :

Suis-je figé dans un rôle trop sérieux ?

Ai-je encore cette capacité à tout désordonner pour voir autrement ?

Suis-je capable de rire de mes propres certitudes ?


Parce que le Trickster, ce n’est pas le chaos gratuit.

C’est le chaos qui éclaire.


 

Bibliographie

  1. Jung, C.G. Les archétypes et l’inconscient collectif, 1954.

  2. Jung, C.G. Psychologie et alchimie, 1944.

  3. Hyde, Lewis. Trickster Makes This World, 1998.

  4. Campbell, Joseph. Le héros aux mille et un visages, 1949.

  5. Bruegel, Pieter. Le Combat de Carnaval et Carême, 1559, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

  6. Panofsky, Erwin. Essais d’iconologie, 1967.

  7. Didi-Huberman, Georges. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, 1992.


 

Notions psychanalytiques abordées

L’archétype du Trickster (Jung) → Celui qui dérange, qui transgresse, mais qui fait avancer.

Le Trickster comme force de transformation → Il ne détruit pas pour le plaisir, il révèle en perturbant.

La caricature et la vérité → Le Trickster pousse les rôles à l’extrême pour montrer leur absurdité.

La ruse et l’individuation (Jung) → Le Trickster en nous peut être destructeur, mais bien intégré, il devient créativité et audace.


 

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