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JUNG : Archétype de la Mère et la Madone Sixtine de Raphaël

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 6 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 févr.





Il y a des images qui vous suivent partout. Un sourire, un regard, une main posée sur une épaule. Des images rassurantes ou oppressantes, mais toujours là, collées au fond de l’inconscient comme une empreinte ineffaçable. C’est la Mère. Pas juste une femme, pas juste une personne, mais une présence, une structure, un mythe.


Pour Jung, la Mère n’est pas seulement une figure biologique, elle est un archétype. Un schéma ancestral inscrit dans chaque psyché humaine, une force universelle qui façonne le rapport à la vie, au monde, au désir et à la peur. On ne naît pas seul. On est toujours précédé par quelque chose de plus vaste, une matrice qui enveloppe et contraint à la fois.


Et s’il y a bien une œuvre qui incarne cette tension entre l’amour maternel, la protection, la douceur et l’inévitable séparation, c’est La Madone Sixtine de Raphaël (1513-1514). Parce que jamais une peinture n’a autant résumé l’ambiguïté fondamentale de la Mère : celle qui donne la vie, mais qui, à un moment, doit aussi la laisser partir.


La Mère : entre matrice et abîme

L’archétype de la Mère est un paradoxe vivant. Elle est le premier visage que nous connaissons, la première chaleur, la première odeur. C’est elle qui nourrit, protège, enveloppe. Elle est la sécurité absolue, le cocon qui nous permet d’exister.


Mais c’est aussi elle qui peut étouffer, emprisonner, posséder. Car si la Mère donne la vie, elle est aussi capable de la garder pour elle. Jung insiste sur cette dualité : la Mère archétypique peut être la déesse bienveillante, la Vierge Marie, Isis, la Terre nourricière… ou la Mère terrible, Kali la dévoreuse, la marâtre des contes, mais c'est aussi la mer infinie où l’on se noie​…


Regardez La Madone Sixtine. La Vierge ne se contente pas de tenir l’Enfant Jésus dans ses bras. Elle avance. Elle marche vers nous, doucement, mais inexorablement. Elle sait. Elle sait qu’elle ne peut pas le garder pour elle. Elle doit l’offrir au monde.


Et Jésus, lui, ne s’accroche pas à elle. Il regarde ailleurs, ailleurs que vers sa mère, ailleurs que vers l’origine. Parce qu’il faut se détacher.


Voilà tout l’archétype de la Mère : elle est là pour nous donner la vie, mais pas pour nous la confisquer.


La Mère et l’enfant : un lien qui ne s’efface jamais

Jung parle souvent du complexe maternel. La mère ne disparaît jamais vraiment de la psyché. Son influence peut être douce ou écrasante, inspirante ou dévorante.


Chez l’homme, elle devient souvent l’Anima, l’image inconsciente du féminin, celle qu’il cherche dans chaque femme, celle qui l’inspire ou l’angoisse. Il peut la vénérer, la fuir, la combattre, mais jamais totalement l’oublier.

Chez la femme, elle est un miroir, un modèle qui peut être écrasant ou structurant. Elle est celle à qui l’on veut ressembler, ou celle dont on veut à tout prix se différencier​.


Dans La Madone Sixtine, Raphaël capture ce lien avec une justesse troublante. L’Enfant Jésus n’a rien du bébé souriant des icônes classiques. Il est grave, conscient, déjà ailleurs. Il est encore dans les bras de sa mère, mais son regard dit tout : il ne peut pas y rester.


C’est toute la complexité du lien maternel. Un attachement profond, nécessaire, mais qui ne peut être définitif. La Mère doit laisser partir. L’Enfant doit s’en aller. Et ce départ, même s’il est inévitable, laisse toujours une trace.


La Mère dans l’inconscient collectif : présence ou absence ?

L’archétype de la Mère ne se limite pas à la relation biologique. Il se manifeste dans tout notre écosystème :

Dans la nature, qui nourrit et détruit à la fois.

Dans la terre, le sol d’où l’on vient et où l’on retourne.

Dans l’océan, cette immensité liquide qui rappelle le ventre maternel mais aussi l’abîme où l’on se dissout.


On retrouve la Mère partout, même quand elle n’est pas là. Son absence est aussi forte que sa présence. Elle peut être un manque, une attente jamais comblée, une nostalgie impossible à satisfaire.


C’est peut-être pour ça que les Madones nous fascinent autant. Parce qu’elles condensent cette tension entre la protection et la séparation, l’amour inconditionnel et l’inévitable détachement.


Et dans la peinture de Raphaël, tout est là. L’amour, la tendresse, la gravité, et ce pas en avant.


Qui porte qui ?

On croit toujours que c’est la mère qui porte l’enfant. Mais l’enfant porte aussi la mère.


Quand on regarde La Madone Sixtine, on peut voir une mère qui protège son fils. Mais on peut aussi voir un fils qui fait exister sa mère, qui lui donne une place, une fonction, un rôle.

Parce que la maternité n’est pas qu’une réalité biologique. C’est un échange, une danse, un équilibre fragile entre l’attachement et la liberté.


Et peut-être que c’est ça, finalement, l’essence de la Mère archétypique : une présence qui ne disparaît jamais vraiment, mais qui, si elle est bien intégrée, nous apprend à marcher seuls.


 

Bibliographie

Jung, C.G. Les archétypes et l’inconscient collectif, 1954.

Jung, C.G. Psychologie et alchimie, 1944.

Neumann, Erich. The Great Mother: An Analysis of the Archetype, 1955.

Cirlot, Juan-Eduardo. Dictionnaire des symboles, 1962.

Raphaël. La Madone Sixtine, 1513-1514, Galerie des Offices, Florence.

Didi-Huberman, Georges. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, 1992.



 

Notions psychanalytiques abordées

L’archétype de la Mère (Jung) → Image universelle du féminin primordial, oscillant entre maternité bienveillante et figure dévorante.

Le complexe maternel (Jung) → Influence psychique de la mère, qui peut être protectrice ou étouffante selon son intégration.

L’individuation (Jung) → Processus psychologique où l’individu doit se différencier de la mère pour exister pleinement.

L’attachement et la séparation → La tension fondamentale entre le besoin d’être porté et l’obligation, à un moment donné, de se détacher.

 

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