Installation filmique - Albert - After burner #2 - Sisyphe -
- Fabrice LAUDRIN
- 13 mars
- 3 min de lecture
Albert - After burner #2, FAb, 2025, numérique de 1.30 minutes

À quel moment cesse-t-on de croire qu’on va renverser la montagne pour commencer à chercher un moyen de la gravir sans s’épuiser ? Albert - After burner 2 - Sisyphe - ne pose pas la question de la lutte, mais celle de son usage : faut-il mourir sur son rocher ou apprendre à en faire un marchepied ? Derrière cette trajectoire d’un punk vieillissant et de sa crête bleue défiant les âges, FAb orchestre un glissement subtil – et cruel – du défi à l’acceptation, de la force brute à l’intelligence du poids. Parce qu’au fond, Sisyphe ne se fatigue pas tant à pousser sa pierre qu’à refuser d’en faire autre chose.
Ce film de 1 minute 30 n’a pas besoin de plus pour déployer sa métaphore. Conçue pour être projetée sur un rideau ou une fenêtre du cabinet de psychanalyse Art & Psy à Pont-Aven, cette œuvre s’inscrit dans une réflexion plus large sur la manière dont l’image interagit avec le seuil – entre intérieur et extérieur, entre visible et invisible, entre ce que l’on porte et ce que l’on transforme. Une mise en scène de l’effort et de son dépassement, qui trouve dans son mode de diffusion un écho à sa propre philosophie.
La Crête et la Pierre : un Duel en Miroir
Albert, figure punk vieillissante, traverse les âges en oscillant entre défi et résignation. Sa crête bleue électrique, tantôt absente, tantôt éclatante, parfois brisée, devient l’autre pierre qu’il pousse, celle de son identité mouvante. Il y a une ironie féroce dans cette mèche dressée comme un totem de révolte, qui doit être sans cesse remise en place, alors que son porteur s’épuise sous le poids d’un rocher plus tangible. On comprend vite que la pierre n’est pas seulement la pierre : elle est l’existence elle-même, avec ses résistances, ses attentes, ses absurdités.
Les premières scènes montrent Albert jeune, 25 ans, encore dans l’illusion de la facilité. Il pousse son rocher avec aisance, encore invincible. Mais à 35 ans, un basculement s’opère : la pierre disparaît temporairement, et c’est l’explosion de poussière, puis la crête qui doit être réajustée. Un instant, le combat n’est plus avec la matière, mais avec l’image de soi. Le punk est encore dans la provocation, il se regarde fier, mais déjà, quelque chose vacille.
Puis vient le lent étiolement. À 45 ans, l’effort se fait sentir, à 50 il devient douloureux, à 55 il s’essouffle, et à 65 il est à l’arrêt. La lutte est devenue vaine. Mais plutôt que l’effondrement, la rupture, irrémédiable, sans retour arrière.
De la Résistance à la Compréhension
La scène 7 marque une transformation. Albert ne lutte plus contre la montagne, il l’adopte. L’espace se modifie : fini le temple en ruines, place à une colline, un paysage qui, bien que toujours ardu, semble offrir une nouvelle géographie du possible. Ici, le mythe de Sisyphe bascule : le cycle infernal s’ouvre à une autre logique.
Puis vient l’outil.
Un objet qui n’a rien d’un simple levier, d’un artifice technique. Il est symbolique, minimaliste, presque abstrait. Il ne sert pas à vaincre la pierre, mais à la comprendre. C’est une réconciliation avec le poids, une nouvelle façon de cohabiter avec ce qui, hier encore, était une malédiction. FAb ne nous dit pas comment cet outil fonctionne – et c’est là toute la beauté de l’idée. Il ne s’agit pas d’un truc, d’un stratagème, mais d’un changement de regard, d’un seuil franchi.
L’Allégresse du Dernier Plan
Et puis, la dernière scène. Albert n’a plus besoin de rouler la pierre, il la porte. Le regard est vif, la démarche légère. Ce qui était une contrainte est devenu un choix. À travers ce chemin escarpé, il ne trébuche plus : il avance, joyeux. C’est peut-être là que réside la clé du film. On pourrait parler de résilience, mais ce serait trop simple. Ce n’est pas juste un renoncement à la lutte, c’est une autre façon de lutter, une où l’effort cesse d’être une opposition pour devenir un jeu d’équilibre.
Une Œuvre sur le Passage et la Métamorphose
Albert - After burner 2- Sisyphe est un film qui ne se contente pas de raconter l’échec ou l’usure. Il nous parle de ces moments de bascule, ces seuils invisibles où l’on cesse d’être dans la répétition infernale pour entrer dans une autre logique, celle où l’on accepte le monde sans s’y soumettre. FAb capte ces infimes instants où l’homme, plutôt que de lutter contre la fatalité, s’en saisit pour en faire autre chose.
Une œuvre brève, mais intense. Une parabole qui ne se contente pas d’interroger la condition humaine, mais qui, en un geste presque imperceptible, esquisse une issue.
Le fichier est disponible dans sa version YouTube Short, puis sera projeté ponctuellement sur les rideaux du cabinet Art & Psy, 8 rue de Rozambidou à Pont-Aven au printemps 2025.